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Le 2 mai 1808, le soulèvement populaire de Madrid
contre les troupes napoléoniennes marque le début
d'une guerre qui va durer six ans.
Traduit de l'espagnol par François Maspero
Sept heures du matin et huit degrés sur
l'échelle de Réaumur aux thermomètres de
Madrid. Cela fait deux heures que le soleil est monté de
l'horizon et, de l'autre bout de la ville, découpant les
tours et les clochers, il éclaire la façade de
pierre blanche du Palais royal. Il a plu pendant la nuit et
des flaques stagnent encore sur la place, sous les roues et
les sabots des chevaux de trois berlines vides qui viennent
de s'arrêter devant la porte du Prince. Le comte
Selvático, gentilhomme florentin de la suite de la reine
d'Étrurie - veuve, fille de l'ancien roi Charles IV et
de la reine Maria Luisa -, sort un moment, grand-croix de
Charles III sur son habit de cour, observe les voitures et
rentre. Quelques Madrilènes oisifs, pour la plupart des
femmes, regardent avec curiosité. Ils ne sont pas plus
d'une douzaine et tous restent silencieux. Une des
sentinelles qui gardent la porte s'appuie nonchalamment sur
son fusil, baïonnette au canon, à côté de
sa guérite. En réalité, cette baïonnette
est sa seule arme : par ordre supérieur, sa
cartouchière est vide. En entendant les cloches de
l'église voisine de Santa Maria, le soldat lance un coup
d'oeil à son camarade et bâille : une heure encore,
avant la relève.
C'est tellement fort et précis qu'on y est
complètement. On tremble, on a les yeux qui saignent
sous les coups de sabre. On a le don d'ubiquité, aussi,
car l'écrivain nous transporte dans le même temps
au QG de Murat et dans les casernes espagnoles où deux
capitaines, malgré les consignes de laisser-faire,
finiront par se joindre aux insurgés. Ils seront les
seuls. La répression française sera atroce, ce qui
n'empêchera pas les Espagnols d'y voir à jamais une
victoire. Au point, le 2 mai 2008, de sortir du musée
les tableaux de Goya pour leur faire faire le tour de la
ville. On peut être catholique, on n'en reste pas moins
païen ! (Christophe Ono-dit-Biot - Le Point du 16
octobre 2008 )
Tout est là, en direct, minute après minute,
comme un long travelling déployé sur un cauchemar.
En une cascade de petites scènes taillées dans le
vif, le romancier espagnol peint l'horreur, les
exécutions sommaires au coin des rues, l'éclair des
sabres sous la mitraille des canons, la danse des poignards
et des machettes que brandissent femmes et enfants, les corps
éventrés sur le pavé, les têtes
décapitées, la débandade des insurgés,
les chevaux lancés au galop à travers une cité
transformée en un gigantesque abattoir...
Ni une fiction ni un livre d'histoire, précise Arturo
Pérez-Reverte en préambule à Un jour de
colère. En effet, si les individus que met en scène
l'écrivain ont tous existé et si le créateur
du capitaine Alatriste a patiemment labouré les
archives, c'est le souffle du roman qui confère à
ce texte sa puissance d'évocation...
Son inventivité, sa réussite résident
d'abord dans son montage. Des séquences «cut»,
saisissantes. Le rêve stendhalien des «petits faits
vrais» hissé ici à une dimension hyperbolique.
Aucun pathos en bref. Aucune morale. Aucun commentaire de
l'auteur. Au bout du compte - ou du conte - l'ensemble
relève d'une prodigieuse fiction où tout est vrai,
où tout se remet à vivre. Il y a là quelque
chose de vertigineux. Comme si l'on mesurait enfin,
dramatiquement et physiquement à la fois, cette
évidence qu'un désastre collectif n'est d'abord
qu'une somme d'horreurs, de peurs, de violences et de
douleurs individuelles, et que seule cette forme de
polyphonie parfaitement atonale permette d'en rendre compte.
(Frédéric Vitoux - Le Nouvel Observateur du 27
novembre 2008 )
Ni un livre d'histoire, ni un roman, ni un essai
(Pérez-Reverte se garde de sermonner la France ou de
transformer en martyrs du progrès les Madrilènes en
révolte ce jour-là), ce livre a des aspects
glaçants...
Ce récit n'est ni une fiction ni un essai mais la
relation minutieuse, heure par heure, des
événements vécus par tous les protagonistes de
cette journée historique. Soldats, artisans des
quartiers de La Paloma, de Lavapiés, du Rastro, hommes,
femmes et enfants armés d'escopettes, de ciseaux, de
couteaux de cuisine, de haches, de houes, de burins,
s'insurgent contre l'occupant et affrontent sauvagement la
plus puissante armée du monde. Leurs noms sont ceux qu'a
retenus l'Histoire, leur rôle et leurs actions tels
qu'ils figurent dans les rapports militaires, les
mémoires et les archives. Pour ce livre, dont le
véritable personnage est le peuple de Madrid, Arturo
Pérez-Reverte a mené un travail de recherche
remarquable, n'autorisant son imagination qu'à cimenter
entre elles ces centaines d'histoires individuelles et
véridiques afin de redonner vie aux héros anonymes
et obscurs des gravures et dessins de l'époque, victimes
d'une tragédie inscrite à jamais dans l'histoire de
l'Espagne.
Extrait
Dans presque toute la ville le calme règne. Les
commerces matinaux ouvrent, et les marchands installent leurs
étals sur les places. Mais cette apparence de vie
normale diminue aux approches de la Puerta del Sol : du
côté de San Felipe et de la rue Postas, de la rue
Montera, de l'église du Buen Suceso et des
éventaires des librairies de la rue Carretas encore
fermées, se forment des petits groupes de citadins qui
convergent vers la porte de l'hôtel des Postes. Et
à mesure que la ville s'éveille et s'anime, de plus
en plus de personnes apparaissent aux fenêtres et aux
balcons. Le bruit court que Murât, grand-duc de Berg et
représentant de Napoléon en Espagne, veut conduire
aujourd'hui la reine d'Etrurie et l'infant don Francisco de
Paula en France, pour les réunir aux anciens rois et
à leur fils Ferdinand VII qui sont déjà à
Bayonne. Ce qui inquiète le plus, c'est l'absence de
nouvelles du jeune roi. Deux courriers que l'on attendait de
là-bas ne sont toujours pas arrivés, et les gens
murmurent. La rumeur dit qu'ils ont été
interceptés. On dit aussi que l'Empereur veut garder
tout ce monde ensemble pour le manoeuvrer plus
commodément et que le jeune Ferdinand VII, qui s'y
oppose, a envoyé des instructions secrètes à
la Junte de Gouvernement que préside son oncle, l'infant
don Antonio. On rapporte qu'il a déclaré :
«Ils ne m'ôteront la couronne qu'avec la
vie.»
Revue de presse
Du grand Pérez-Reverte, avec un souffle
épique à la Hugo. (André Clavel - Lire,
novembre 2008 )
L'auteur du Club Dumas s'empare avec brio de la
mémoire collective et individuelle en nous faisant
partager des centaines de destinées - certaines
entrées dans l'histoire, la plupart anonymes - qui
apparaissent comme autant de romans. (Christian Authier - Le
Figaro du 12 novembre 2008 )
Ce qui fait la force du récit de
Pérez-Reverte n'est pas la complaisance que l'on
pourrait lui reprocher sur les massacres, les blessures
infligées, l'hémoglobine (pourvu qu'on ne tire pas
un film de ce livre !), mais la vision de chaque détail,
de chaque personne, de chaque rue ou maison. On voit les
«masses» à la loupe et non de très haut
ou de très loin. Et l'on comprend que la colère ne
se maîtrise pas, qu'en s'additionnant elle se multiplie
au-delà de toute raison, de toute tactique, sans
considération de victoire ou de défaite. De
même pour ceux d'«en face». Colère contre
vengeance, est-ce là l'histoire de l'humanité ?
(Bruno Frappat - La Croix du 17 décembre 2008 )