Le lac Kawabata, Yasunari
Histoire d'une obsession, Le Lac retrace la quête d'une perfection irréalisable, d'une beauté hors de portée. Sans foyer, exclu de toute douceur humaine, seul avec son poids de péchés sur le coeur, Gimpei Momoï ne peut résister à la soif inextinguible qui le pousse, au long des rues, à s'attacher aux pas de belles inconnues, à les admirer de loin tandis qu'elles avancent, magnifiques et inaccessibles - car leur beauté n'est pas de ce monde mais participe d'un rêve. La réalité, symbolisée par ses propres pieds grotesquement difformes, poursuit Gimpei en tous lieux. Et c'est le caractère inconciliable de ces deux univers qui explique la texture déshumanisée, ambiguë, furtive de l'érotisme dont cette oeuvre est empreinte. Ce roman ne s'inscrit dans aucune forme traditionnelle. C'est une sorte de « happening », et en tout cas l'un des livres les plus modernes de conception et d'allure du grand Kawabata. De même que l'intérêt du héros peut, à tout moment, être éveillé par une inconnue croisée dans la rue, de même ici le passé surgit brutalement dans le présent, ou bien l'hallucination pulvérise le souvenir, ou encore la réalité crue jaillit lorsque le voile du songe et des fantasmes se déchire. Ceux qui, à la lecture de ses ouvrages précédents, imaginaient que tout n'était que délicatesse et demi-teintes chez l'auteur de Pays de neige et de La Danseuse d'Izu, seront sans doute surpris par la sensualité aiguë de certaines scènes et parle ton cruel du livre. Le Lac apparaît comme si singulier, si inhabituel, qu'il illumine d'un jour tout à fait nouveau l'ensemble de l'oeuvre de Yasunari Kawabata.
Récits de la paume de la main Kawabata, Yasunari
En marge de ses grands livres comme La Danseuse d'Izu, Les Belles Endormies ou Tristesse et beauté, Yasunari Kawabata (1899-1972, prix Nobel de littérature en 1968) écrivit aussi de très courtes histoires : souvenirs d'enfance ou d'adolescence, instants de vie saisis au vol, vignettes érotiques à mi-chemin du rêve et de la réalité. Et il les rassembla sous le titre énigmatique de Récits de la paume de la main.On peut certes les lire comme des fables. Une jeune femme, dans une soif infinie d'amour, veut devenir l'exacte réplique de l'être aimé. Deux amoureux, que la mort a enfin réunis, vont dialoguer et joindre leurs voix. Une jeune mariée succombe à l'instant où son époux se met à prier pour elle. Des vieillards nourrissent une couvée d'oiseaux sauvages, et dans leur geste renaissent la beauté, le rituel, la gravité du Japon d'autrefois... Mais la simplicité et la transparence de ces récits cachent bien des abîmes.« Montrez-moi votre âme en la posant sur la paume de ma main. Telle une boule de cristal. Et moi, je la dessinerai avec mes mots...