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Classiqueparmi les marginaux, Henry Miller est un
auteur assez vaste pour que chacun s'yaménage un
espace réservé, pour que chacun reconnaisse
« son » Miller. Maisvoici un petit livre où
nous pourrons tous nous reconnaître, que nous
soyonsdéjà touchés par la grâce de cet
écrivain ou que nous n'ayons pas encore tendula main
à cette main si fraternelle. Petit livre qui peut nous
accompagnerpartout, sauf aux toilettes. A déguster
chaud ou froid, mais tout de suite.
Pourquoilit-on aux toilettes ? Quelle pulsion vient se
délivrer dans ce lieu, le plusintime quand on y
trône, s'offrant à tous lorsqu'il est vierge ? On
imagine queMiller n'a pu se poser cette question qu'en
siégeant lui-même au lieu-dit, oubien attendant
depuis une heure que sa femme en sorte, tenant à la
main je nesais quelle encyclopédie.
Abien y réfléchir, il n'y a aucune bonne
raison pour laquelle nous devrions lireaux toilettes. Tout
porte au contraire à croire que notre concentration
estmoins efficace, les livres moins choisis pour
eux-mêmes, les souvenirs moinsvifs. Rien ne nous y
pousse, sinon cette maladie qui nous empêche de
supporterle moindre désoeuvrement, même le plus
(in)utile. Non seulement nous encombronsnotre conscience,
mais nous bloquons l'accès à ceux qui veulent
simplement sesoulager, ou méditer. En quelques pages
hilarantes, Miller imagine un dialogueentre un mari et sa
femme, celui-là tentant désespérément
de faire sortircelle-ci des toilettes : la femme sur son
siège, feuilletant le compte rendu dela bataille de
Sedan par le Maréchal X, la mécanique
expliquée au novice ouquelqu'autre best-seller des
WC.
Veuillezdélaisser cet endroit…
Ilnous faut donc nous résigner à abandonner
les toilettes, du moins à ne pas nousen servir comme
cabinets de lecture. Ce sera déjà un premier pas
versl'intensification de la lecture, vers une absorption
plus directe de ce quenotre esprit perçoit. Comme
d'habitude, Miller prend appui sur le quotidien leplus
humble pour s'envoler dans les digressions les plus
délirantes. Mais duhauts de ses sautes d'humeur
métaphysique, il n'oublie jamais son lecteur,
leprenant par la main pour l'emmener vers le trou de la
serrure, serrure des toilettes,serrure de son œuvre
toute entière, serrure de l'univers. Oserait-on
supposerque toutes les femmes et tous les chemins que
Miller a traversés auront étéautant de
« serrures » ?
Uneheure : c'est un peu plus du temps qu'il faut pour
avaler cet élixirdrolatique. Comme à son
habitude, Miller y mêle réflexions
philosophiques,anecdotes délicieuses et souvenirs
magnifiés. Nous passons allègrement d'un
tonà la fois docte et ironique (Sujet de notre
conférence : « l'interdiction de lalecture aux WC
»), à une tonalité plus joyeuse, sur le mode
de la conversationà bâtons rompus. Mais ce qui
fascine lorsque nous franchissons la dernièrepage,
c'est la densité de l'air que nous venons de respirer.
Dans un de cesélans dont seul Miller a le secret, il
en vient même à nous dévoiler la clef deson
inspiration, la découvrant pour nous sous un jour qui
lui est nouveau, avecun enthousiasme toujours aussi
vif.